Gostei e vi na RTP2!
Télerama.fr.
Paradoxe : avec Abdellatif Kechiche, cinéaste qui prend son temps (La Graine et le mulet dure deux heures trente, et encore il a coupé !), on est immédiatement au coeur de tout. Des gens. De leur quotidien. De leurs drames, petits ou grands. Et des instants d'intimité qui les rapprochent. Ainsi le couscous dominical, auquel presque tout le clan assiste, y compris Mario, l'étranger, qui a épousé une des femmes de la famille, mais qu'on charrie, parce qu'il ne sait toujours pas parler l'arabe mis à part quelques mots d'amour. Souad, la cuisinière en chef - la fée du couscous au poisson -, n'oublie jamais d'en préparer une assiette pour Slimane, son ex-mari, qui vit depuis longtemps pas loin, dans le petit hôtel tenu par « l'autre », qui a toutes les qualités, mais dont personne ne mange la cuisine, même les pensionnaires de l'hôtel.
Le couscous, dans le film, c'est tout à la fois. Une connivence. Un lien. La ruse, plus ou moins consciemment trouvée par Souad, pour ne pas se faire oublier de son ex. Ou encore, pour Slimane, la possibilité d'un renouveau. Il a été renvoyé sans ménagement, juste avec quelques sous de dédommagement, du chantier naval où il a travaillé toute sa vie. Loin de se laisser abattre, il décide de retaper un des vieux rafiots qui croupissent sur le port de Sète et d'en faire un restaurant. Avec pour unique plat le couscous au poisson de Souad. Slimane ne peut accepter que sa vie d'immigré en France ait été inutile. Il veut transmettre quelque chose à ses enfants, même si ses enfants s'en moquent totalement, même s'ils lui conseillent, non sans insolence, de retourner finir ses jours au bled, là où il est né...
Ce n'est pas un gueulard, Slimane - contrairement aux femmes de la famille, toujours en voix, toujours en révolte. Aux coups de la vie, il oppose ses balbutiements. Son silence, contredit par un regard qui, lui, en dit long. Il ressemble, en fait, aux doux Italiens du néoréalisme de jadis - Le Voleur de bicyclette ou Umberto D. de Vittorio De Sica. Au burlesque grave imaginé, quelques années plus tard, par Comencini ou Monicelli. Il s'obstine. Ce restaurant, il l'ouvrira, coûte que coûte. Avec l'aide de Rym, la fille de sa compagne, nettement plus bravache que lui (mais les femmes le sont toujours, chez Kechiche), il entame l'héroïque parcours du combattant, obligatoire, en France, pour celui qui songe à monter une petite entreprise : bilans financiers à gogo, licences obligatoires que chaque administration se refile comme dans un ping-pong sans fin. Afin de convaincre les derniers hésitants à lui accorder autorisations et subsides, Slimane décide d'organiser une fête - un couscous au poisson géant...
Depuis L'Esquive, certains comparent Abdellatif Kechiche à Claude Sautet - sans doute pour la minutie de son approche. C'est John Cassavetes qu'il évoquerait plutôt, par son talent pour manier la vraie et la fausse improvisations. Pour observer les êtres au plus près. Ainsi les copains de Slimane, à la décontraction joueuse, qui discutent de son sort à la terrasse de l'hôtel où il vit : ils se mettent à ressembler à un choeur antique qui aurait trop lu la trilogie marseillaise de Pagnol. Kechiche filme des morceaux d'humanité. Des blocs. Comme ce plan-séquence saisissant où Rym tente de convaincre sa mère, murée dans son refus, de se rendre à la fête de Slimane. C'est un moment étourdissant, où se mêlent et s'emmêlent reproches, menaces, flatteries, exhortations, chantages... Comme dans L'Esquive, les mots se bousculent, les expressions, toujours les mêmes, répétées à l'infini, deviennent une litanie étrange, bizarre mélange de langue parlée et de texte ourlé. C'est magnifique.
Certains regretteront quelques ellipses narratives. Or c'est le style même de Kechiche d'avancer ainsi par soubresauts successifs. D'autres lui reprocheront un montage parallèle, un rien trop insistant, entre la course solitaire de Slimane dans les rues de Sète et la danse du ventre de Rym, sur le bateau en fête. Mais cet étirement du temps nourrit alors un vrai suspense : la graine du couscous, mystérieusement disparue, sera-t-elle retrouvée à temps pour permettre à Slimane de gagner son pari ? Jusqu'au bout, Kechiche ne dévie pas : il filme la tragédie d'un homme qui veut se prouver qu'il existe encore. Il filme le plus honnêtement du monde. Le plus simplement.
Pierre Murat
| Genre : une histoire simple.
Slimane a été renvoyé sans ménagement du chantier naval où il a travaillé toute sa vie. Loin de se laisser abattre, il décide de retaper un des vieux rafiots qui croupissent sur le port de Sète et d'en faire un restaurant, où il servira le couscous au poisson de son ex-femme. Avec l'aide de Rym, la fille de sa compagne, nettement plus bravache que lui, il entame l'héroïque parcours du combattant, obligatoire, en France, pour celui qui songe à monter une petite entreprise...
Avec Abdellatif Kechiche, on est immédiatement au coeur des gens. De leur quotidien. A la fois réaliste et poétique, il filme en continuité des morceaux d'humanité : le plan-séquence où Rym tente de convaincre sa mère de se rendre à la fête de Slimane, par exemple. Moment étourdissant, où se mêlent et s'emmêlent reproches, menaces, flatteries, exhortations, chantages...
Comme dans L'Esquive, les mots se bousculent, les expressions, répétées à l'infini, deviennent une litanie étrange. Jusqu'au bout, Kechiche ne dévie pas : il filme le plus honnêtement du monde la tragédie d'un homme qui veut se prouver qu'il existe encore. — Pierre Murat
Pierre Murat
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